Microsoft dévoile Majorana 1, le premier processeur quantique au monde alimenté par des qubits topologiques 

Chip Microsoft Majorana 1, computación cuántica

Par Chetan Nayak, Technical Fellow et Vice-président Corporate du matériel quantique 

Conçu avec une nouvelle catégorie de matériaux révolutionnaire appelée topoconducteur, Majorana 1 marque une avancée structurante vers l’informatique quantique concrète. 

Les ordinateurs quantiques promettent de révolutionner la science et la société – mais seulement lorsqu’ils atteindront une échelle autrefois considérée comme lointaine et insaisissable, et que leur fiabilité sera assurée par la correction des erreurs quantiques. Aujourd’hui, nous annonçons des avancées rapides en matière d’informatique quantique : 

  • Majorana 1 : le premier Quantum Processing Unit (QPU) au monde alimenté par un coeur topologique, conçu pour accueillir jusqu’à un million de qubits sur une seule puce. 
  • Un qubit topologique protégé physiquement : l’article de recherche publié aujourd’hui dans Nature, ainsi que des données partagées cette semaine au cours de la présentation à Station Q, démontrent notre capacité à exploiter un nouveau type de matériau et à concevoir un type de qubit radicalement différent, petit, rapide et contrôlé numériquement. 
  • Une feuille de route matérielle pour aboutir à un calcul quantique fiable, c’est-à-dire notre trajectoire pour aller d’un matériel à un seul qubit jusqu’aux matrices permettant la correction des erreurs quantiques. 
  • Construction du premier prototype tolérant aux pannes (fault-tolerant prototype ou FTP) au monde basé sur des qubits topologiques : Microsoft construira le FTP d’un ordinateur quantique évolutif d’ici quelques années, et non des décennies, dans le cadre de la phase finale du programme DARPA US2QC

Ces étapes marquent un tournant clé dans l’informatique quantique, alors que nous passons de l’exploration scientifique à l’innovation technologique. 

Exploiter un nouveau type de matériau 

Toutes les annonces d’aujourd’hui reposent sur l’avancée fondamentale récente de notre équipe : le premier topoconducteur au monde. Cette catégorie révolutionnaire de matériaux nous permet de créer une supraconductivité topologique, un nouvel état de la matière qui, jusqu’ici, n’existait qu’en théorie. Cette avancée découle des innovations de Microsoft dans la conception et la fabrication de matériels définis par des portes (gate-defined) combinant de l’arséniure d’indium (un semi-conducteur) et de l’aluminium (un supraconducteur). Lorsqu’ils sont refroidis près du zéro absolu et réglés à l’aide de champs magnétiques, ces matériels forment des nanofils supraconducteurs topologiques avec des Majorana Zero Modes (MZM) à leurs extrémités.

FIG. 1 Lecture de l’état de notre qubit topologique 

Depuis près d’un siècle, ces quasiparticules n’existaient que dans les manuels. Aujourd’hui, nous pouvons les créer et les contrôler à la demande dans nos topoconducteurs. Les MZM sont les éléments de base de nos qubits, stockant l’information quantique à travers leur « parité » – c’est-à-dire selon que le nanofil contient un nombre pair ou impair d’électrons. 

Dans les supraconducteurs conventionnels, les électrons se lient en paires de Cooper et se déplacent sans résistance. Tout électron non apparié peut être détecté, car sa présence nécessite de l’énergie supplémentaire. Nos topoconducteurs sont différents : ici, un électron non apparié est partagé entre une paire de MZM, le rendant invisible à l’environnement. Cette propriété unique protège l’information quantique. 

Bien que cela rende nos topoconducteurs idéaux pour les qubits, un défi se pose : comment lire une information quantique si bien cachée ? Comment distinguer, par exemple, 1 000 000 000 et 1 000 000 001 électrons ? 

Notre solution fonctionne comme suit : 

  • Nous utilisons des commutateurs numériques pour coupler les extrémités du nanofil à un point quantique (« quantum dot »), un minuscule dispositif semi-conducteur pouvant stocker une charge électrique. 
  • Cette connexion augmente la capacité du point quantique à retenir une charge. L’augmentation exacte dépend de la parité du nanofil. 
  • Nous mesurons ce changement en utilisant des micro-ondes : la capacité du point quantique à contenir la charge détermine la façon dont les micro-ondes sont réfléchies. Ainsi, elles reviennent en portant une empreinte de l’état quantique du nanofil. 

Nos matériels sont conçus de manière à ce que ces changements soient suffisamment grands pour être mesurés de manière fiable en une fois. Nos premières mesures présentaient une probabilité d’erreur de 1 %, et nous avons identifié des moyens clairs pour la réduire significativement. 

Notre système présente une stabilité impressionnante. L’énergie externe – telle que le rayonnement électromagnétique – peut briser les paires de Cooper, créant des électrons non appariés susceptibles de modifier l’état du qubit, passant d’une parité paire à une parité impaire. Cependant, nos résultats montrent que ce phénomène est rare, ne se produisant qu’une fois par milliseconde en moyenne. Cela indique que le bouclier qui enveloppe notre processeur est efficace pour bloquer ce type de rayonnement. Nous explorons actuellement des moyens de réduire encore davantage cet effet. 

Il n’est peut-être pas surprenant que le calcul quantique exige la création d’un nouvel état de la matière spécialement conçu pour le rendre possible. Ce qui est remarquable, c’est la précision déjà atteinte par notre technique de lecture, démontrant ainsi que nous exploitons réellement cet état exotique de la matière pour le calcul quantique. 

Révolutionner le contrôle quantique grâce à la précision numérique 

Cette technique de lecture permet une approche fondamentalement différente du calcul quantique, qui consiste à utiliser les mesures pour effectuer des calculs. 

L’informatique quantique traditionnelle fait tourner les états quantiques selon des angles précis, nécessitant des signaux de contrôle analogiques complexes adaptés à chaque qubit. Cela complique la correction des erreurs quantiques (QEC), qui doit s’appuyer sur ces mêmes opérations sensibles. 

Notre approche basée sur la mesure simplifie la QEC de manière radicale : nous effectuons la correction des erreurs uniquement via des mesures activées par de simples impulsions numériques connectant et déconnectant des points quantiques des nanofils. Ce contrôle numérique rend la gestion de vastes ensembles de qubits beaucoup plus pratique pour des applications réelles. 

FIG. 2 Feuille de route vers l’informatique quantique tolérante aux pannes avec les tétrons. Le premier schéma montre un dispositif avec un seul qubit. Le tétron est formé par deux fils topologiques parallèles (en bleu) avec un MZM à chaque extrémité (point orange), reliés par un fil supraconducteur trivial perpendiculaire (en bleu clair). Le schéma suivant présente un dispositif à deux qubits permettant des transformations par tressage basées sur la mesure. Le troisième schéma montre un tableau de 4 × 2 tétrons démontrant une détection d’erreurs quantiques sur deux qubits logiques. Ces démonstrations ouvrent la voie à la correction des erreurs quantiques, comme sur le dispositif illustré dans le schéma de droite (un tableau de 27 × 13 tétrons). 

Avec les briques fondamentales ici démontrées – information quantique codée dans des MZM, protégée par la topologie, et traitée via des mesures – nous sommes prêts à passer de la découverte physique à la mise en œuvre pratique.  

La prochaine étape est l’architecture évolutive basée sur un matériel à un seul qubit appelé tetron (voir FIG. 2). A Station Q cette semaine, nous avons présenté des données démontrant le fonctionnement de base de ce qubit : une opération fondamentale, qui mesure la parité d’un des nanofils topologiques dans un tetron, et qui utilise la même technique décrite dans l’article publié dans Nature

Une autre opération clé place le qubit dans une superposition d’états de parité. Celle-ci est également réalisée par une mesure de réflectométrie micro-ondes d’un point quantique, mais dans une configuration de mesure différente : nous découplons le premier point quantique du nanofil et connectons un autre point quantique aux deux nanofils à une extrémité du matériel. 

En effectuant ces deux mesures de Pauli orthogonales, Z et X, nous avons démontré un contrôle basé sur la mesure – une étape cruciale qui ouvre la voie aux prochaines avancées prévues dans notre feuille de route. 

Cette feuille de route nous guide désormais de manière systématique vers la correction d’erreur quantique (QEC) à grande échelle. Les prochaines étapes impliqueront une matrice  de 4×2 tétrons. Nous utiliserons d’abord un sous-ensemble de deux qubits pour démontrer l’intrication et les transformations de tressage basées sur la mesure. Ensuite, en utilisant l’ensemble de la matrice de huit qubits, nous mettrons en œuvre la détection d’erreurs quantiques sur deux qubits logiques. 

La protection intrinsèque contre les erreurs des qubits topologiques simplifie la correction d’erreurs quantiques. De plus, nos codes QEC sur-mesure réduisent la surcharge d’un facteur d’environ dix fois par rapport à l’approche précédente. Cette réduction spectaculaire signifie que notre système évolutif peut être construit avec moins de qubits physiques et qu’il a le potentiel de fonctionner à une vitesse d’horloge plus rapide.

Une approche reconnue par la DARPA 

L’Agence pour les projets de recherche avancée de Défense DARPA a sélectionné Microsoft comme l’une des deux entreprises qualifiées pour la phase finale de son programme de benchmarking quantique, Underexplored Systems for Utility-Scale Quantum Computing (US2QC) – l’un des programmes qui fait de la Quantum Benchmarking Initiative (QBI) de DARPA la plus importante. Cette reconnaissance valide notre feuille de route pour développer un ordinateur quantique tolérant aux erreurs doté de qubits topologiques.  

Le programme US2QC de la DARPA et son initiative plus large de benchmarking quantique forment une approche rigoureuse d’évaluation des systèmes quantiques susceptibles de résoudre des problèmes au-delà des capacités des ordinateurs classiques. À ce jour, le programme US2QC réunit des experts de la DARPA, de l’Air Force Research Laboratory, du Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory, du Los Alamos National Laboratory, de l’Oak Ridge National Laboratory et du NASA Ames Research Center afin de vérifier le matériel, les logiciels et les applications quantiques. À l’avenir, l’initiative plus large de benchmarking quantique devrait mobiliser encore plus d’experts dans les tests et l’évaluation des ordinateurs quantiques.  

Auparavant, la DARPA avait sélectionné Microsoft pour une phase antérieure après avoir estimé que nous pouvions vraisemblablement construire un ordinateur quantique à grande échelle dans un délai raisonnable. La DARPA a ensuite évalué les conceptions architecturales et le plan d’ingénierie de l’équipe quantique de Microsoft portant sur un ordinateur quantique tolérant aux fautes. À la suite de cette analyse approfondie, la DARPA et Microsoft ont conclu un accord pour entamer la phase finale du programme. Au cours de cette phase, Microsoft construira un prototype tolérant aux fautes basé sur des qubits topologiques en quelques années, et non en décennies – une étape cruciale pour accélérer l’avènement de l’informatique quantique de taille utilitaire.

Libérer le potentiel de l’informatique quantique 

Il y a dix-huit mois, nous avons défini notre feuille de route vers un superordinateur quantique. Aujourd’hui, nous franchissons une deuxième étape clé en démontrant le premier qubit topologique au monde. Et nous avons déjà placé huit qubits topologiques sur une puce conçue pour en accueillir un million.   

Un ordinateur quantique d’un million de qubits n’est pas seulement un jalon : c’est une porte d’entrée vers la résolution de certains des problèmes les plus complexes au monde. Même les supercalculateurs les plus puissants d’aujourd’hui ne peuvent pas prédire avec précision les processus quantiques qui déterminent les propriétés des matériaux essentiels à notre avenir. Mais l’informatique quantique à cette échelle pourrait conduire à des innovations telles que des matériaux auto-réparateurs capables de combler les fissures des ponts, une agriculture durable et des découvertes de produits chimiques plus sûrs. Ce qui nécessite aujourd’hui des milliards de dollars en recherches expérimentales approfondies et en expériences en laboratoire humide pourrait être réalisé grâce aux calculs d’un ordinateur quantique.   

Notre trajectoire vers une informatique quantique utile est claire. Les fondamentaux de la technologie sont éprouvés, et nous croyons en l’évolutivité de notre architecture. Notre nouvel accord avec la DARPA témoigne de notre engagement à poursuivre sans relâche notre progression pour atteindre notre objectif : construire une machine capable de faire avancer la découverte scientifique et de résoudre des problèmes complexes de notre monde.  

Pour suivre les avancées de Microsoft en matière d’informatique quantique :