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Comment Getlink a optimisé sa maintenance grâce à l’intelligence artificielle avec l’aide d’Ekimetrics

La maintenance prédictive, longtemps considérée comme un concept théorique par de nombreux acteurs industriels, est désormais une réalité concrète grâce à des collaborations exemplaires comme celle d’Ekimetrics et Getlink, groupe qui détient à 100% Eurotunnel, gestionnaire de l’infrastructure du Tunnel sous la Manche et opérateur des services Ferroviaires LeShuttle. Getlink et Ekimetrics ont su combiner habilement l’expertise en data et en IA, avec un pragmatisme dans la conduite de projet, notamment sur le plan financier. Embarquement à bord des matériels roulants ferroviaires de l’opérateur pour une chasse aux pannes 100 % high tech.

Le 6 mai 2024, Eurotunnel a soufflé ses trente bougies. Un anniversaire à la saveur particulière pour sa société mère, Getlink, qui a signé en 2023 les meilleurs résultats de son histoire. Anciennement connue sous le nom de groupe Eurotunnel, l’entreprise fait partie aujourd’hui d’un groupe aux contours plus vastes, Getlink. Outre Eurotunnel, le groupe comprend également Europorte (le premier opérateur privé de fret ferroviaire français), ElecLink (la première interconnexion électrique opérant dans un environnement ferroviaire actif) d’une capacité d’1 GW qui relie les réseaux de distribution d’électricité français et anglais et le CIFFCO (le premier organisme privé de formation aux expertises et métiers du secteur ferroviaire).

Pour son dirigeant, Yann Leriche, l’avenir de l’entreprise repose sur sa résilience face aux changements constants de son environnement et sur sa capacité à transformer ces changements en opportunités. Le Groupe a mis au cœur de sa stratégie le « Bas-carbone » porté par ses activités intrinsèquement vertes autour du ferroviaire et de l’énergie décarbonée et la « Haute-Simplicité » pour apporter rapidité, fluidité et simplicité dans l’utilisation de ses services. Getlink se veut « le plus court chemin vers le futur bas-carbone dans le transport de marchandises, de personnes et d’électricité entre l’Europe et le Royaume-Uni».

 Dans sa quête d’amélioration continue, la maintenance prédictive émerge comme une solution incontournable. « Notre métier, c’est de faire circuler des trains et d’assurer le fonctionnement du tunnel ferroviaire immergé le plus long du monde 24h/24 365 jours par an », explique Denis Coutrot, le Chief Data Officer du groupe. « Donc naturellement l’IA trouve des cas d’usage autour de la maintenance prédictive, aussi bien pour les trains que pour le tunnel. Nous développons également des usages dans le domaine de la qualité de service et au niveau commercial pour répondre aux besoins de nos clients. »

Depuis une décennie, l’IA s’est immiscée dans l’industrie au fil de sa numérisation et son efficacité dans le domaine de la maintenance prédictive est déjà largement reconnue. Par exemple, le média spécialisé CIO cite le géant industriel GE, qui a mis en œuvre avec succès des systèmes basés sur l’IA pour analyser directement les données issues des moteurs d’avion. Cette approche permet d’identifier les problèmes potentiels et d’assurer une maintenance préventive efficace, garantissant ainsi la sécurité et la fiabilité des équipements.

Mais revenons aux trains d’Eurotunnel ! Il est crucial de comprendre le défi que représente la maintenance pour Getlink. Les matériels circulant sous la Manche ont souvent été conçus avant même l’ouverture du tunnel. De plus, leurs dimensions atypiques (800 mètres de longueur soit la longueur de 4 TGV !) rendent chaque opération d’inspection et de maintenance exceptionnelle.

Première étape : élaborer un business plan de l’IA appliqué au matériel roulant

À son arrivée chez Getlink, il y a  plus de deux ans, Denis Coutrot a engagé, sous l’impulsion de l’équipe dirigeante, l’utilisation plus intensive de la data et de l’IA dans la maintenance. Contrairement à de nombreuses entreprises qui sélectionnent des cas d’usage dans des domaines variés, Getlink décide de se concentrer sur un domaine d’application : le matériel roulant. L’objectif est clair : anticiper les pannes et avaries pour accroître la fiabilité du matériel. En collaboration avec Ekimetrics, un travail minutieux d’identification des cas, d’évaluation des dommages et des besoins de financement liés à l’IA, a été entrepris.

Avant de se lancer, trois pré-requis sont essentiels : renforcer les compétences internes en recrutant des data scientists, collaborer avec des acteurs experts comme Ekimetrics, et se doter d’une architecture informatique (et de données) capable d’héberger les cas d’usage – et sur laquelle Getlink pourrait garder la main.

Une douzaine de cas d’usage a été rapidement identifiée, couvrant la moitié de la “non-qualité”, indique Denis Coutrot, soit le nombre de pannes multiplié par la durée d’immobilisation qu’elles engendrent. L’objectif de l’exploitant du tunnel est de réduire cet indicateur de 15 % d’ici à 2026 grâce à l’IA. Le programme d’investissement dans la technologie, doté de 2,5 millions d’euros, vise, dans un premier temps, à connecter les locomotives du parc, pour collecter des données.

Ces données sont stockées dans la Getlink data plateforme – une architecture Snowflake, mise en place début 2022, qui sert à la fois de hub et d’entrepôt de données – connectée à l’environnement Microsoft Azure Machine Learning sur lequel tournent les modèles, suite aux préconisations proposées par Ekimetrics en 2023.

Pour mettre en œuvre ces cas d’usage, autour de sujets tels que l’anticipation de détection de freins serrés – dont les dommages annuels sont estimés à 1,5 millions d’euros -, Getlink développe  son partenariat avec Ekimetrics. Le cas DFS (détection de freins serrés) a été mis en production en janvier dernier et s’est avéré être un grand succès. Il a permis aux techniciens de maintenance des trains de détecter des corrosions jusqu’alors indétectables. L’occasion pour Denis Coutrot de souligner l’importance de l’implication des “métiers” dans les projets d’IA. Le prochain cas sera celui des auxiliaires de locomotives, le deuxième poste de coûts.

Et l’IA précisément là-dedans ? Elle intervient dans le télédiagnostic, aidant ainsi les équipes à évaluer l’état de santé du train. Deuxième étape : identification des anomalies, comme dans le cas des DFS. Troisième étape : l’optimisation des stocks de pièces de rechange nécessaires. Quatrième étape : création d’un compagnon de maintenance. Pour cette dernière étape, Denis Coutrot souhaite que cet outil permette aux équipes, à partir d’une question et d’une simple photo, d’accéder à des sources utiles à leur résolution : documentation, interventions similaires, etc. L’objectif est de démocratiser l’accès à la documentation et d’en élargir l’usage.

Cet accès “intelligent” n’est pas réservé aux seuls techniciens de maintenance et à leurs ordres de travaux – pour lesquels il reste encore de nombreux défis à relever pour une exploitation optimale : structuration et classification, etc. De nombreux métiers bénéficient également du chatbot interne, développé aussi avec l’aide d’Ekimetrics. Cet outil, baptisé ChatRCC (pour Rail Control Center, la Tour de contrôle du Tunnel sous la Manche) vise à remonter aux utilisateurs les documents les plus pertinents en réponse à une requête, avant de les synthétiser. Son déploiement à l’ensemble de Getlink est en cours. C’est sur ce modèle que l’équipe interne de data scientists travaillent à étendre ce chatbot à l’ensemble de la documentation réglementaire.

Des promesses alléchantes d’hier aux réalités de terrain d’aujourd’hui

Anticiper une panne, maîtriser l’arrêt des machines, augmenter leur durée de vie, diminuer les stocks de pièces de rechange… Voici les promesses alléchantes de la maintenance prédictive (ou prévisionnelle). « Cette approche consiste à collecter et à analyser les données d’un équipement industriel, sa température et ses vibrations, par exemple. Puis, à partir de celles-ci, à mettre en place un système d’alertes afin de prévenir une défaillance en intervenant avant la panne. La maintenance prédictive va plus loin que la maintenance curative, qui consiste à réparer une fois la panne survenue, ou que la préventive, qui consiste à planifier des interventions de maintenance d’après des moyennes d’utilisation. Le prédictif permet de se fier à l’utilisation réelle d’un équipement pour optimiser les opérations de maintenance, avec réduction de coût à la clé » lisait-on dans l’Usine nouvelle… en 2017. Autant dire un siècle sur le calendrier de l’évolution des technologies numériques. La promesse énoncée demeure, ses conditions de succès aussi : « Aller chercher les bonnes données », par exemple.

Aujourd’hui, des pionniers comme Getlink, avec l’appui d’Ekimetrics (et l’usage d’Azure Machine Learning) démontrent la pleine concrétisation de ces promesses. Denis Coutrot envisage déjà de reproduire cette démarche à la maintenance des infrastructures où de grands travaux ont déjà été menés en reconnaissance d’images. Assurément à suivre.

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