Des idées de cœur pouvant faciliter l’accès au marché du travail pour les personnes handicapées

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Par Suzanne Choney

À onze ans, Kim Charlson a commencé à perdre la vue en raison d’un glaucome. On a tenté de l’opérer dix-huit mois plus tard, mais cela n’a fait qu’empirer la situation. Cette chirurgie a entraîné des complications qui ont accéléré le processus.

Face à cela, ses parents ont adopté une attitude pragmatique. Ils ont insisté pour qu’elle apprenne le Braille, un outil de lecture essentiel pour les personnes aveugles ou malvoyantes. Sans cela, Kim n’aurait sans doute pas pu fréquenter l’université ni avoir de carrière. Il faut savoir qu’aux États-Unis, seulement 13 % des étudiants aveugles connaissent le Braille et environ 70 % des adultes aveugles ou malvoyants sont sans emploi.

Ces statistiques troublantes représentent l’une des raisons pourquoi Madame Charlson est si enthousiaste aujourd’hui à propos d’une appli qui aidera les étudiants à consacrer plus de temps à l’apprentissage et à la pratique du Braille. ObjectiveEd, l’entreprise développant l’application Braille AI Tutor, est l’une des plus récentes firmes subventionnées par le programme AI for Accessibility de Microsoft qui soutient les personnes utilisant des technologies basées sur l’IA pour rendre le monde plus inclusif. On compte la City University of London, inABLE, iMerciv et The Open University parmi les 11 organismes qui se joignent à ce programme dans le cadre du mois national de la sensibilisation à l’emploi des personnes handicapées.

« Nous avons la grande responsabilité et l’occasion formidable de rendre la technologie plus intelligente et plus utile pour les personnes handicapées », déclare Mary Bellard, Microsoft senior architect lead for accessibility. Inauguré en 2018, le programme AI for Accessibility, subventionne actuellement 32 organisations. Son objectif, explique Mme Bellard, est d’aider à « créer quelque chose de vraiment utile, à l’intersection de l’IA, de l’accessibilité et des handicaps ».

L’appli Braille AI Tutor est le plus récent projet du président de ObjectiveEd, Marty Schultz. Ce vétéran du développement de logiciel et formateur bénévole a créé il y a cinq ans un jeu pour iPhone appelé « Blindfold Racer » à l’intention des enfants aveugles. Ceci a mené à la production de plus de 80 autres jeux pour iPhone et iPad téléchargés plus d’un demi-million de fois.

Mme Charlson, ancienne présidente du American Council of the Blind, est une admiratrice des créations de M. Schultz. C’est aussi le cas de Judy Dixon, agente de relations avec les consommateurs du National Library Service for the Blind and Physically Handicapped des États-Unis. Toutes deux ont souvent discuté avec lui de l’importance de l’apprentissage du Braille pour la lecture et l’emploi, si bien qu’il les a finalement prises au mot et s’est lancé dans la mise au point d’une appli dans ce domaine.

Certains jeunes aveugles ou malvoyants fréquentent des écoles adaptées où on enseigne et utilise le Braille quotidiennement. Plusieurs autres, cependant, vont à l’école publique et doivent apprendre le Braille avec des enseignants itinérants qui visitent leur établissement une fois par semaine et consacrent environ une heure à chaque élève.

« Combien d’enfants réussiraient à apprendre à lire s’ils n’avaient qu’une heure de cours de lecture par semaine? demande Mme Charlson. Une heure par semaine avec un enseignant, c’est tout simplement insuffisant. On doit au contraire créer une situation d’immersion pour ces jeunes. Sinon ils n’arriveront jamais à lire aussi couramment qu’il le faudrait une fois adultes. »

 

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Marty Schultz de ObjectiveEd, en compagnie de Kim Charlson, ex-présidente du American Council for the Blind. (Photo : ObjectiveEd)

L’application Braille AI Tutor comprendra une fonction de reconnais­sance vocale basée sur l’intelligence artificielle, qui utilisera l’API Azure Speech et utilisera des parcours d’apprentissage ludiques pour encourager les élèves à s’exercer à la lecture du Braille. L’appli enverra un mot ou une phrase à un module d’affichage dynamique comme ceux utilisés pour la lecture du Braille. Le jeune pourra sentir ce mot ou cette phrase et les lire à haute voix. L’appli traitera cette émission sonore et lui indiquera s’il a lu correctement ou non.

Les résultats seront ensuite envoyés à un tableau de bord Web permettant aux enseignants de suivre les progrès de leurs élèves.

« Notre rôle n’est pas d’enseigner le Braille aux élèves, mais plutôt de leur fournir la possibilité de s’exercer en l’absence de leur enseignant, explique M. Schultz. L’enseignant offre la formation, alors que nous rendons les exercices pratiques amusants, attirants et faciles à faire de façon autonome. Ainsi, la prochaine fois que les deux se rencontreront, l’élève aura déjà fait des progrès réels. »

M.Schultz souligne que ces exercices additionnels aideront les élèves à « accélérer leur parcours scolaire et les mèneront au collège ou à l’université, leur ouvrant ainsi de bien meilleures perspectives d’emploi ».

 

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Arjun Mali, à gauche, et Bin Liu de iMerciv, dont certains proches ont perdu la vue. (Photo : iMerciv.)

 

Deux amis de longue date ayant assisté à la perte de vue de certains de leurs proches exploitent la technologie pour faciliter les déplacements en ville des aveugles et malvoyants.

Bin Liu et Arjun Mali viennent de pays différents, mais leurs vies ont suivi des cours parallèles. Bin est d’origine chinoise et a déménagé à l’âge de 9 ans à Gaborone au Botswana où sa famille a habité plusieurs années à cause du travail de son père ingénieur civil. De son côté, Mali a vécu une partie de sa vie en Inde et une autre dans les Émirats arabes unis, où son père a travaillé quelque temps dans la vente de réseaux de fibres optiques.

Il y a une dizaine d’années, le père de Bin a reçu un diagnostic de glaucome inopérable. Quant à Mali, sa grand-mère était demi-voyante et il devait parfois l’accompagner à une école pour aveugle locale où elle faisait la lecture aux enfants et leur enseignait l’anglais bénévolement. Les deux compères fréquentaient l’université à Toronto lorsqu’ils ont fait connaissance et sont devenus amis en jouant au Poker. Ils ont souvent parlé entre eux des frustrations et des indignités subies par les personnes aveugles ou malvoyantes, évoquant leur désir de trouver une façon de faciliter les déplacements de ces personnes.

« La perte de la vue a affecté nos deux familles. Nous y avons vu l’occasion de créer des solutions technologiques susceptibles d’avoir des retombées positives pour toute la communauté des aveugles et malvoyants », affirme Mali, qui a obtenu son diplôme en économie de l’université McMaster en Ontario.

Bin, qui détient pour sa part un diplôme en génie civil de l’université de Toronto, cherchait sans trop de succès des appareils pouvant aider son père à utiliser sa canne pour éviter les obstacles plus efficacement. C’est ainsi que les deux amis ont mis au point leur premier produit, le BuzzClip, un appareil doté de pinces et pesant seulement 2 onces destiné à être fixé aux vêtements. Le BuzzClip utilise les ultrasons pour détecter les obstacles sur son trajet. Il émet alors des vibrations et sons divers pour avertir son utilisateur.

Dès le départ, le duo a obtenu un financement de l’Impact Center, l’incubateur d’entreprises en technologies de l’université de Toronto. En 2014, ils ont fondé leur entreprise iMerciv, Inc.

Faisant maintenant partie des plus récents groupes subventionnés par le programme Ai for Accessibility, iMerciv développe actuellement une appli de navigation appelée MapinHood qui vise à proposer de meilleurs trajets aux piétons aveugles ou malvoyants voulant se rendre à pied au travail ou ailleurs.

L’appli émettra un signal sonore avertissant son utilisateur de risques à éviter, comme des chantiers ou des quartiers dangereux. Elle l’informera aussi de la présence à proximité de mobilier urbain pouvant lui être utile comme des fontaines, des bancs ou des rampes d’accès. Le tout est basé sur l’apprentissage machine, les données collectives et les informations publiques émises par les forces de l’ordre.

 

Les systèmes de navigations actuels sont, en règle générale, optimisés pour déterminer les trajets les plus rapides ou les plus courts vers une destination donnée. Bin fait remarquer que cela ne constitue pas toujours le meilleur choix pour les piétons handicapés cherchant la meilleure façon de se rendre à pied au travail, à un magasin ou à un parc, par exemple.

L’appli, qui en est maintenant à ses premiers tests avec l’aide de l’organisme sans but lucratif, l’Institut national canadien des aveugles (INCA), avec qui iMerciv a aussi collaboré lors du développement du BuzzClip. L’appli repose sur le moteur de recherche d’itinéraires créé par iMerciv et, grâce au financement reçu du programme AI for accessibility, elle exploitera aussi les fonctions d’apprentissage machine, de stockage et de machines virtuelles d’Azure.

Le système développé pour Toronto servira de gabarit pour l’utilisation de l’appli dans d’autres villes.

« Nous nous concentrons sur la personnalisation de l’appli. Nous voulons la rendre aussi souple et adaptable que possible », explique Bin. « La navigation pour piétons et plus particulièrement pour ceux qui sont handicapés ne peut se fonder sur une solution unique censée répondre à tous les besoins. »

 

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Dans l’ordre habituel : Claire Barnett, Nilanjan Sarkar, Josh Wade et Michael Breen de l’université Vanderbilt. (Photo : Joe Howell/université Vanderbilt)

Pour les personnes autistes, l’entrevue représente parfois l’obstacle principal à l’obtention d’un emploi.

Voilà sur quoi travaille Nilanjan Sarkar, dont le fils d’un cousin est atteint d’un syndrome du spectre de l’autisme. Dans ses recherches préliminaires, Nilanjan a constaté que ces personnes interagissent souvent mieux avec des systèmes intelligents ou des interlocuteurs robotiques qu’avec des personnes.

Sarkar, qui est directeur du laboratoire de robotique et de systèmes autonomes de l’université Vanderbilt, au Tennessee, mène actuellement un projet visant à utiliser les systèmes intelligents pour aider les personnes atteintes d’autisme à mieux performer lors d’entrevues d’emploi. Le projet appelé Career Interview Readiness in Virtual Reality (CIRVR), est développé conjointement avec le Frist Center for Autism & Innovation de l’université Vanderbilt, qui s’est jointe au programme AI for Accessibility plus tôt cette année.

Selon M. Sarkar, quelque 2,5 millions d’adultes américains sont atteints d’un syndrome du spectre de l’autisme. « De ce nombre, 60 % ou plus peuvent effectuer un travail quelconque, mais 85 % des personnes aptes au travail sont sous-employées ou sans emploi. »

Le CIRVR est un simulateur d’entrevue d’emploi en réalité virtuelle utilisant l’IA d’Azure. Celle-ci incorpore un personnage numérique agissant comme un intervieweur, un dispositif enfilable qui surveille les signes vitaux de la personne interviewée. Celui-ci mesure donc des réactions comme la fréquence cardiaque et la sudation cutanée pour déduire le degré d’anxiété de la personne interviewée grâce à des techniques d’apprentissage machine. Le système comprend aussi un appareil de suivi oculaire pour mesurer le degré d’attention de l’utilisateur.

« Ce système recueillera de façon quantitative et objective une grande quantité d’informations sur le degré d’anxiété, les mouvements des yeux et les réponses des personnes interviewées. Il enregistrera aussi ce qu’elles auraient dû répondre. Nous croyons que cela nous permettra de créer un système de rétroaction qui aidera ces personnes à améliorer leurs habiletés en entrevue au bout d’un certain nombre de répétitions », précise M. Sarkar.

« Les personnes atteintes d’autisme préfèrent parfois interagir avec des objets dont les réponses sont uniformes et prévisibles, explique-t-il. Or, les réponses et interactions humaines sont imprévisibles, ce qui peut constituer une source de désarroi pour elles. »

Souvent, dit-il, les questions ouvertes comme « Pouvez-vous me décrire une occasion où vous avez résolu un conflit? » ou « Comment avez-vous aidé un coéquipier? » peuvent aussi créer de l’anxiété. C’est également le cas de tests ayant une échéance rapprochée, comme devoir résoudre rapidement un problème de programmation.

La nervosité en situation d’entrevue d’emploi n’est pas réservée à celles et ceux qui présentent un syndrome du spectre de l’autisme. M. Sarkar espère qu’un outil comme le CIRVR pourra éviter qu’une personne ne se décourage au point de refuser toute entrevue d’emploi en lui permettant de s’exercer et en l’aidant à faire valoir avec plus de facilité son expérience et ses forces.

Il explique que les premières entrevues tests ont commencé et qu’elles fourniront aux personnes interviewées une rétroaction qui leur permettra d’améliorer leurs réactions en entrevue. Les résultats d’ensemble seront aussi analysés afin de repérer des tendances dont les responsables du recrutement d’entreprises intéressées pourraient être informés, ce qui leur permettrait d’ajuster la structure de leurs entrevues ou, au besoin, de poser leurs questions différemment.

« Nous tenons pour acquis que le protocole d’entrevue ne changera pas avant longtemps, indique-t-il. Ce système vise par conséquent à aider les gens à mieux se préparer en prévision des entrevues qu’ils devront réellement passer. »

Tous les groupes subventionnés par le programme AI for Accessibility « démontrent tant de passion et de compétences dans le domaine de la technologie accessible », conclut Madame Bellard de Microsoft.

« Le potentiel de création de logiciels ou d’appareils visant à mieux répondre aux besoins des personnes handicapées et à rehausser les attentes des clients concernant le rôle que pourrait jouer la technologie dans leur vie constitue une occasion tout simplement extraordinaire. »

Obtenez plus d’information sur les subventions du programme AI for Accessibility et sur le programme d’embauche de personnes autistiques de Microsoft.

Première image : Ashley Colburn, thérapeute en réhabilitation visuelle du Carroll Center for the Blind, démontre à Steven DeAngelis, onze ans, le fonctionnement de modules d’affichage Braille dynamique aux installations de l’organisme à Newton, au Massachusetts, le 1er octobre 2019. (Photo : Dan DeLong)

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